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Numerus clausus : un autre éclairage
14/03/2014

Numerus clausus: un autre éclairage

Les étudiants en médecine et en science dentaire descendent dans la rue ce jour, et ils ont raison de le faire.
Toutefois leur analyse est partiale et partielle, voire carrément erronée.

Membre de la Commission de planification auprès du SPF Santé publique depuis sa création, nous voulons vous faire part de notre analyse de ce dossier.

Le travail de la Commission de Planification

Une précision tout d’abord: le concept de numerus clausus n’existe pas. Il n’y a aucun concours d’aucune sorte prévu par la législation fédérale.
Le travail de la Commission de Planification est d’analyser scientifiquement l’évolution de la démographie professionnelle et de déterminer des objectifs de formation (quotas) des professionnels de santé afin d’assurer au moins le maintien de la force de travail des professionnels de la santé (Manpower) pour demain.

Le premier défi, depuis sa création il y a plus de 15 ans, a été de développer un système de suivi statistique fiable. Oui, il a fallu faire un travail de nettoyage pour ne plus comptabiliser par exemple des praticiens n’exerçant plus.
Nous devons souligner le travail majeur réalisé par l’Administration du SPF Santé publique à ce propos. Aujourd’hui nous avons un réel Cadastre des professionnels de la santé. Il s’agit bien entendu d’un travail permanent, qui continue d’être affiné, toutes les professions ne vivant pas la même réalité. Il est ainsi bien plus aisé de comptabiliser les dentistes en activité que par exemple les kinés qui peuvent avoir des activités plurielles.
C’est un apport essentiel de la Commission de Planification que ce Cadastre. Le seul point négatif est que manquent encore des données très fines en matière de répartition géographique de l’offre de soins. Par exemple, on ne connaît pas avec précision le nombre de fauteuil de dentistes dans chaque commune de Belgique.

Le second défi de la Commission de Planification est de fixer ces quotas d’objectifs dont le but est-non pas de limiter- mais de calculer le nombre de diplômés nécessaires pour assurer la force de travail des professionnels de santé… pour demain.
Pour ce faire, la Commission de Planification dispose d’un modèle mathématique, géré par un personnel qualifié, qui intègre de très nombreux paramètres comme la féminisation, l’âge des praticiens en exercice, la réduction générale du temps de travail, la mortalité précoce, l’abandon de la profession, etc.
L’ensemble des paramètres pouvant influencer la force de travail est pris en compte.
Un praticien diplômé en 2014 aura sans doute une carrière de 40 ans. Le modèle mathématique nous fait la simulation de la force de travail de 2014 à … passé 2050.
Une réalité prise en compte: il y a eu des cohortes très importantes de diplômés dans les années ’75 - ’80. Les diplômés de cette époque ont provoqué et provoquent encore un déséquilibre de la pyramide des âges des professionnels de la santé. Bien sûr, il faut tenir compte du remplacement de ces importantes cohortes. Bien entendu, le modèle mathématique intègre cette donnée. Ils quitteront la profession plus progressivement qu’ils n’y sont entrés.

Il faut souligner que s’il y a eu une explosion du nombre de diplômés dans les années ’75 - ’80, c’est justement par absence d’une politique de planification. Aujourd’hui, on commet en FWB la même erreur historique.

La mission de la Commission de Planification n’est donc pas de limiter le nombre d’étudiants. Si au départ ces travaux aboutissaient à des propositions de limitation, aujourd’hui ils peuvent aboutir à des propositions de stimulation de la formation quand elle constate qu’il y a trop de peu de professionnels formés. C’est ce qu’elle vient encore récemment de faire pour la Médecine générale. Avec toute l’anticipation nécessaire.

Pléthore ou pénurie ?

Il faut bien constater que la répartition de l’offre de soins sur le territoire n’est pas adéquate. Bien sûr, il existe des manques criants de professionnels de la santé dans certaines régions comme la Province de Luxembourg et les zones frontalières des provinces de Hainaut et Namur.
Ainsi, on a quasi autant de dentistes pour la seule commune d’Uccle que pour toute la Province de Luxembourg.
Mais pensez-vous qu’un professionnel de la santé va naturellement aller s’installer dans un désert médical? C’est tout le sens des politiques Impulseo I, II et II qui ont vu le jour - au niveau fédéral. Mais pour rappel, cette politique touche les seuls médecins généralistes. Ce type de politique incitative n’a pas non plus un effet si immédiat.
La 6e Réforme de l’Etat consacre le transfert de ces politiques aux Régions.
Nous n’avons pas encore enregistré d’intérêt du Gouvernement wallon à se saisir du développement de ces politiques Impulseo pour l’ensemble des Professions de santé.
Il s’agit pourtant là d’une pièce majeure de la construction d’une réelle politique de santé.

Compétences fédérales versus compétences communautaires

L’État fédéral n’a aucune compétence en matière d’enseignement. Toutefois, c’est lui qui délivre les agréments des «titres professionnels particuliers» (spécialités). C’est aussi lui qui gère la Sécurité sociale, avec un budget toujours plus sous pression.

La fixation de quotas de professionnels de la santé par le Fédéral est de sa responsabilité, et on pouvait s’attendre à ce que les Communautés traduisent dans leurs politiques des filtres à l’entrée ou en début d’études pour éviter de mettre des étudiants dans des situations impossibles en fin de cursus.
C’est ce que la Communauté flamande a réalisé parfaitement, depuis le début.
Il est en effet indécent de laisser se former des étudiants qui ne pourraient pas avoir accès à la profession pour laquelle ils se forment.
Nous voyons mal comment un jeune diplômé dentiste pourrait exercer un autre métier que celui de… dentiste. Non, il n’y a pas de possibilité pour un dentiste de réorienter sa carrière vers la médecine d’assurance, la recherche ou une autre fonction non curative.

Il y a une grande irresponsabilité de notre monde politique francophone à refuser toute forme de planification des étudiants et à placer ainsi les futurs diplômés dans une situation impossible.

Un enseignement universitaire mis à mal

Mais plus grave encore est que ce manque de planification de nos étudiants entraîne une situation invivable au sein de nos Universités.
Former davantage de dentistes, ce n’est pas seulement pousser les murs d’un auditoire pour délivrer un enseignement ex cathedra à un plus grand nombre d’étudiants.
C’est avant tout un enseignement préclinique et clinique.
L’enseignement préclinique d’un dentiste se passe sur un «simulateur de patient» où le futur dentiste va passer des heures pour acquérir toute la précision de ses gestes thérapeutiques.
A titre d’exemple, l’ULg est passée de 15 étudiants à 30 étudiants en science dentaire. Mais demain, ce sont 100 étudiants (actuellement en BAC2) qui vont se présenter à la porte du laboratoire préclinique.
Bien sûr les budgets alloués aux Universités ne suivent absolument pas (ou alors très partiellement, et avec retard) pour augmenter la taille des locaux, pour acheter de nouveaux -couteux- simulateurs, pour engager du personnel d’encadrement des étudiants et stagiaires, pour augmenter en proportion le nombre de fauteuils dentaires cliniques, etc.
Ce qui se passe déjà actuellement, c’est que le nombre d’heures passées sur simulateur est réduit. Demain, avec un nombre d’étudiants explosé, ce sera encore plus ingérable.
Clairement, les professeurs universitaires ne taisent plus que la qualité de la formation est en danger.
Ce n’est pas plus admissible de diminuer les exigences d’heures de simulateurs pour un dentiste que pour un pilote de ligne, sous prétexte qu’il y a plus d’étudiants.

Un quota dépassé de 425 pourcents

Le nombre d’étudiants en science dentaire en BAC2 est actuellement de 379 pour les 3 universités francophones.
Il s’agit donc de personnes qui seraient diplômées dentistesen 2017.

Or l’objectif en terme de PLANIFICATION (quota), calculé pour maintenir la force de travail, est pour l’année 2017 de 72 pour la Communauté Française :

19 AOUT 2011. - Arrêté royal relatif à la planification de l'offre de l'art dentaire

Art. 4. Le nombre total de candidats-dentistes qui ont annuellement accès à la formation pour un titre faisant l'objet de l'agrément visé à l'article 35quater de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice des professions des soins de santé, est fixé, pour les années 2017 jusqu’ à 2020 inclus à 180 au maximum, et réparti comme suit :
(…)
2° pour les universités relevant de la Communauté française, au maximum :
d) Dentistes généralistes : 60
e) Dentistes spécialistes en parodontologie : 5
f) Dentistes spécialistes en orthodontie : 7.

>>> Pour 2017, nous nous trouvons donc avec une formation de dentistes francophones 425 %supérieure à l’objectif (quota) calculé pour MAINTENIR la force de travail !!

On est bien loin des valeurs de «dépassement» permis de 20 % qui avaient été proposées par les Universités à la Commission de Planification comme «technique de lissage».

Vers la scission de la Sécurité sociale ?

La Planification peut contribuer à assurer la maîtrise de l’offre de soins.
Elle apparaît également importante comme outil de maitrise des coûts des soins de santé. Croyez-vous qu’augmenter le nombre d’orthodontistes, ne fût-ce que de 10 % n’a aucun effet sur le nombre de traitements orthodontiques réalisés, et donc sur les coûts à charge de la Sécurité sociale ?
Et si ces soins sont nécessaires? La Commission de Planification et ses groupes de travail par profession prennent en compte l’évolution du besoin de soins.

Dans une Sécurité sociale fédérale, le Nord du pays manifeste son mécontentement face à l’irresponsabilité de la FWB.
Mercredi soir à l’INAMI, on a entendu en Commission Nationale Dento-Mutualiste une nouvelle fois le banc professionnel flamand demander la scission de la Sécurité sociale entre bénéficiaires francophones et néerlandophones.
Ils s’indignent, avec les Universités flamandes, de la passivité de la FWB en matière de planification, alors que la Flandre gère cela parfaitement.

Nous craignons qu’au lendemain des élections du 25 mai, une revendication forte de scission de la Sécurité sociale soit exprimée par les partis flamands.
Qui pourra encore y résister?

Conclusions

Nous émettons pourtant des recommandations aux Autorités de la FWBet de la Région wallonne :

  • Prenez des mesures pour sauver la qualité de la formation des dentistes francophones de ce pays. Soyez pour cela à l’écoute directe des Professeurs qui doivent assurer cette formation, et entendez leur appel au secours.
    C’est aussi sauver l’excellence de nos Universités en terme d’efficience et en terme de recherche.
  • Prenez des mesures de type IMPULSEO, puisqu’il s’agit dorénavant de votre compétence pour diriger l’installation de praticiens dans les zones où la démographie médicale est (trop) faible.
    Ne tardez pas à prendre ces mesures, car chacun sait qu’il faut du temps entre la décision et son effet réel sur le terrain.
  • Et surtout, prenez des décisions qui permettraient aux étudiants de retrouver une sérénité dans leurs études. Pris en otages comme ils le sont, ce n’est certes pas favorable pour que se déroule leur formation, déjà éminemment difficile, dans les meilleures conditions.

C’est la mort dans l’âme que nous nous exprimons publiquement en ce débat. En effet, nous, en tant qu’association professionnelle, nous devons nous taire. Car on est de suite taxés de corporatisme quand on ose parler de Planification.
Ceux qui nous connaissent savent que nous assumons au mieux la responsabilité sociétale qu’on peut attendre d’une association représentative de la profession de santé la plus consultée par la population.

Au final, la FWB aura la profession dentaire qu’elle mérite, construite ou mise à mal selon les politiques menées.

Michel DEVRIESE
Président


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